Déchéance de la nationalité : une déchéance morale
Une mesure d’extrême-droite
-Le FN a été le premier à se féliciter de cette ”idée portée depuis très longtemps par le Front
national », et a tout de suite appelé à « une extension de la déchéance de nationalité pour tous les
crimes graves », dont « les crimes de sang »
-La proposition de déchéance de nationalité permet à l’extrême-droite de défendre sa
conception identitaire de la nationalité, centrée sur le droit du sang et le rejet de l’autre. La
République, au contraire, s’est construite depuis la Révolution française sur une conception ouverte
de la citoyenneté, basée sur le droit du sol : est automatiquement Français-e celui ou celle qui est
né-e en France. Le repli sur soi et la haine de l’autre, la suspicion généralisée font le jeu de
l’extrême-droite, autant que des terroristes qui veulent nous voir divisés !
-En reprenant cette idée, le gouvernement valide la bataille culturelle de l’extrême-droite. Il
tire des hauts résultats du FN la conclusion qu’il faut toujours plus chasser sur ses terres et capter
son électorat. Ce faisant, il rend leurs idées légitimes, et contribue à les dédiaboliser.
Une mesure anti-républicaine
-En prévoyant, pour les binationaux, la déchéance de nationalité, la révision prévue inscrirait
dans la Constitution, pour un même délit commis, une peine différente pour les binationaux et les
autres Français. Il y aurait donc dorénavant deux catégories de Français, les binationaux et les autres ! Or, en République, le peuple est un et indivisible, et la loi s’applique à toutes et tous sans
distinction !
-Les binationaux, suspects de terrorisme ? C’est ce que laisse sous-entendre ce projet… Or, il
n’y a aucun lien entre binationalité et terrorisme, au contraire : parmi tous les coupables d’actes
terroristes depuis 2012, seuls 3 étaient binationaux !
-On ne choisit pas toujours d’être binational : certains pays attribuent d’office leur
nationalité à tout enfant dont un des parents au moins a cette nationalité. On peut ainsi être
binational tout en étant né Français, et en n’ayant aucune attache dans le pays dont on a la double
nationalité !
Une mesure inutile
-Une personne déterminée à commettre un attentat, à tuer des civils Français ne sera pas
dissuadée par la menace de perdre la nationalité française ! De plus, il vaut mieux faire purger leur
peine et surveiller les personnes ayant projeté un attentat, que les expulser et perdre leur trace !
D’autant que, si l’on expulse ces personnes, on est face à une alternative catastrophique et
pourvoyeuse de terrorisme : on doit choisir entre soit expulser les individus en question vers des
pays démocratiques (donc leur permettre éventuellement de revenir ??!) soit les expulser vers des
pays sans État de droit (Syrie…) et réintroduire la peine de mort de manière indirecte. Cette mesure
est, par ailleurs, inapplicable : l’État ne sait pas forcément qui est binational. Un autre pays n’est pas
obligé de le dire, et des individus acquièrent une seconde nationalité sans forcément devoir le
déclarer
-Plus largement, pour lutter contre le terrorisme et préserver notre sûreté, ce qu’il faut, ce n’est pas une énième loi, mais le déploiement de moyens, qui manquent depuis des années :
Sarkozy a supprimé 12.000 postes de policiers et gendarmes entre 2007 et 2012, qui n’ont pas été
rétablis par Hollande !
-Enfin, l’extension de la mesure est très floue : elle concerne les coupables “de crimes en matière de terrorisme et, éventuellement, des crimes les plus graves en matière d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation”… Or la définition actuelle des “atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation” inclut par exemple le fait de faire des barricades ! Par ailleurs, cette mesure enfonce un coin dangereux dans nos principes : si la déchéance de nationalité est possible
pour faits de terrorisme, il est alors aisé, à petits pas, de l’étendre pour d’autres délits, et de la
banaliser. On imagine comment cette mesure serait utilisée par un gouvernement autoritaire ou fascisant !
Non à l’état d’urgence permanent !
-L’inscription dans la constitution de l’état d’urgence vise à donner un fondement
constitutionnel à des mesures dérogatoires du droit commun : au nom du « péril imminent » du
terrorisme, toutes les mesures de police seront mécaniquement considérées comme nécessaires et
proportionnées au trouble à l’ordre public. Saisies administratives, enfermement préventif,
perquisitions de jour comme de nuit seraient donc justifiées, sans aucun contrôle ou recours
possible !
-A l’inverse, le juge judiciaire est présenté comme un obstacle à l’ « efficacité » contre le
terrorisme. Or, le cadre légal actuel accorde déjà à la police des pouvoirs hautement dérogatoires
dans les cas de menace terroriste ! Le contrôle du juge n’est pas un obstacle à la lutte contre le
terrorisme ! En revanche, il permet de garantir l’état de droit et de protéger les citoyen-ne-s de
l’arbitraire du pouvoir.
-Cette réforme porte en germe de graves abus : en effet, elle permet de prendre, sans qu’une infraction soit commise, des mesures préventives contre une personne, sans aucun contrôle
du juge, en se fondant seulement sur le critère très flou d’un « comportement suspect » !
-On l’a déjà vu, pourtant, ces dernières semaines : le renforcement du pouvoir de l’exécutif conduit très vite à de multiples abus : comment justifier l’assignation à résidence de militants écologistes ou les perquisitions chez des maraîchers bio’ par la nécessité de lutter contre le terrorisme ? Depuis le début de l’état d’urgence, sur les 529 gardes à vue effectuées, 317 étaient des manifestants écolo ! De nombreux dérapages révélant un racisme anti musulmans ont été également constatés. Sur les 3000 perquisitions effectuées, seules 4 enquêtes préliminaires pour
terrorisme ont été ouvertes !